in the dead of night
Seule, elle l'est depuis toujours. Cette solitude qui étouffe le cœur, qui vous laisse à l'agonie, désireux de mourir - elle la connaissait si intimement. La solitude de sa chambre était à la fois pesante et agréable. Elle la protégeait tout en la désespérant, tout en la privant de cet amour essentiel pour le développement d'un enfant. Parce qu'il y avait ce conflit entre sa mère et son père. Parce qu'ils ne pouvaient jamais s'entendre, que leur conversation se résumait à une série de cris jetés à la tête de l'autre, sans aucune considération pour la petite existence qui se développait à leurs côtés. Des cris de haine et de mépris, qui terrorisaient la fillette. « Caitlin, que dirais-tu de venir dormir chez moi cette nuit ? » Le grand-père lui tendait toujours la main ; sans doute était-il honteux du comportement de son fils. Il s'occupait souvent de l'enfant, il n'avait pas vraiment le choix ; tout, plutôt que de risquer voir son fils frapper l'enfant. Qu'il s'en prenne à son épouse, c'était suffisant. Et Caitlin, encore petite, en vint à le considérer comme son second père.
Elle lisait beaucoup ; c'était sa façon de s'enfermer dans un autre monde, de se protéger elle-même. Elle ne voulait pas que son grand-père la défende ; elle se devait de le faire elle-même. Elle ne supportait pas qu'un autre combattît à sa place, quand bien même elle ne savait pas très bien comment elle combattait. Se battait-on avec des contes de fée, dévorés sur la couette par une journée maussade ? Elle ne savait pas. Peu importait.


in the sense of fate
A l'école, elle était cette fille un peu arrogante qui ne pouvait pas s'empêcher de mettre son nez dans ce qui ne la regardait pas. Caitlin, elle disait ce qu'elle pensait, et parfois les garçons avaient bien envie de la frapper ; mais ils n'osaient pas, cela ne se faisait pas. Et elle, elle en jouait, de cette réserve. On la traitait d'insolence. On la sentait perturbée, parfois, la gamine ; avec sa manie de toujours se fourrer dans des histoires improbables, on ne cessait de répéter qu'elle était un nid à problèmes. L'enfant, elle, ne réclamait qu'un peu d'attention. C'était sa façon à elle de dire qu'elle existait, qu'elle n'était pas qu'un fardeau.
Olive, elle était déjà là, mais loin d'elle. Ce n'était pas que Caitlin cherchait à tout prix à l'approcher, loin de là ; une enfant comme elle réclamait de l'attention de la part de tout le monde, et non d'une fille en particulier. Surtout, Olive était distante parce qu'elle n'appartenait pas à son monde. Elle avait ses propres amis, qui n'appréciaient pas forcément Cait, ses propres rêves, elle n'avait rien à voir avec la gamine au tempérament fougueux qui faisait tant parler d'elle. Elle n'appartenait pas à l'univers tel que se le représentait Caitlin. Pourtant, dans ses écrits d'enfant, certains de ses personnages ressemblaient curieusement à Olive.


in the spirit of freedom
Caitlin, elle s'est vite libérée des conventions sociales. Sans modèle féminin réellement là pour la guider, la jeune fille allait à la dérive, elle se construisait comme elle l'entendait. Elle ne savait pas ce que c'était, une femme au foyer qui faisait la lessive, le ménage et s'occupait des enfants. Elle l'aurait su si elle avait passé plus de temps chez elle. Mais elle restait le plus souvent chez son grand-père, qui en tant que veuf devait s'occuper de tout lui-même. La jeune fille s'identifiait à lui. Cet homme qui vivait seul sans se soucier des autres. Un solitaire qui assumait parfaitement sa solitude. Il n'avait pas envie d'une autre femme, il était bien comme il était ; et elle pensait pouvoir le comprendre.
« T'as vraiment embrassé une fille, Cait ? Mais c'est dégueu ! » Elle haussait les épaules, comme à chaque fois. Elle, elle ne voyait pas trop le mal qu'il pouvait y avoir à être différente. A ne pas s'intéresser qu'aux garçons. Les garçons n'avaient pas de beaux et longs cheveux qui leur arrivaient au creux du dos - pour la majorité en tout cas. Ils n'avaient pas les formes délicates d'une demoiselle en train de devenir une femme. Les garçons, c'était bien, mais les filles aussi. Personne ne semblait vraiment comprendre, mais elle s'en fichait. Elle haussait les épaules, parce qu'elle assumait parfaitement le fait d'être bisexuelle. Quand bien même certaines personnes ne regardaient pas cela d'un très bon œil et la trouvaient trop engageante, voire trop libertine. Elle leur riait au nez. Elle, au moins, elle ne faisait pas semblant.


in the course of the year
Ce n'était peut-être pas le job dont elle rêvait quand elle était petite. Ce n'était peut-être pas le journal le plus fameux de la ville. Mais Caitlin, cela lui convenait. Elle se sentait bien ici, même si elle préférait s'adonner la fiction ; le simple fait d'écrire la rendait vivante. Bien sûr, cela ne fit qu'accentuer le fossé qu'il pouvait y avoir entre ses parents et elle. « Mais tu n'aurais pas pu te trouver un vrai métier, Cait ? Ça te plaît vraiment tant que ça d'écrire des conneries ? » Oui, pour sa mère, elle n'écrivait rien de vraiment utile ; mais elle aurait dit pareil de toute forme d'écrit. Sa mère ne lisait jamais, elle n'aimait pas cela ; elle se plaignait toujours de ne pas avoir la force de se concentrer sur des lignes qu'elle jugeait insipide. Caitlin ne comprenait pas. Peut-être aurait-elle préféré que sa fille joue de son physique pour gagner de l'argent. Ou qu'elle devienne femme de ménage. Avait-elle véritablement un problème avec le fait que Caitlin ait envie de s'assumer pleinement ? Que sa fille ne suivait pas le même chemin qu'elle ? C'était assurément de la jalousie qui transparaissait dans la voix de sa mère. Jalousie, car elle ne pourrait jamais rivaliser avec son propre enfant.


in the mood for love
Pour Caitlin, rien n'avait été évident avec le baiser fatidique. Oui, Olive lui plaisait bien ; mais comme d'autres femmes. Elle ne la connaissait pas, elle ne pouvait pas tomber amoureuse d'elle. En plus, elle était sûre qu'Olive ne la supportait pas, quand bien même ce n'était pas réciproque. Cette première soirée à discuter avec elle fut une surprise pour Caitlin. Elle n'aurait jamais imaginé qu'Olive puisse s'intéresser à sa petite personne. Elle était rentrée de cette soirée la tête légère, avec le cœur battant légèrement trop fort, les joues légèrement trop roses d'émotion. Elle avait envie d'en savoir plus. De la découvrir, Olive, de briser la glace qu'il y avait entre elle.
A repenser au baiser, Caitlin s'affole. Des femmes, elle en avait déjà embrassées, là n'était pas le problème ; elle voulait entraîner Olive vers cette voie, lui montrer que les lèvres d'une femme pouvaient être aussi enchanteresses que celles d'un homme. Mais avec Olive, il y avait eu un petit quelque chose en plus. Peut-être parce qu'Olive ne s'était jamais affichée autrement que comme hétérosexuelle - l'impression de dépasser une limite était grisante. Mais non, ça allait plus loin. Ça avait été trop naturel, trop parfait en même temps. Et doux, aussi, incroyable doux. Cette hésitation légère. Ce besoin tendre et passionné à la fois qu'elle avait ressenti lorsqu'elle avait joint ses lèvres à celle d'Olive - tout cela était si nouveau pour elle. Olive, elle était différente. Elle avait quelque chose que toutes les autres femmes n'auraient jamais, que les hommes eux-mêmes ne connaissaient pas. Olive - c'est elle qu'elle a cherché pendant tout ce temps. La seule capable de combler sa solitude. La seule qui pourra, un jour, faire battre son cœur.